Le sujet de la perte de sens au travail occupe les professionnels RH depuis plusieurs années maintenant mais le phénomène reste difficile à appréhender. Repérer certains signes précurseurs peut pourtant permettre de désamorcer les situations les plus préoccupantes.


Alors qu’il pourrait paraître évident, le sens au travail se perd même dans le secteur public comme l’ont révélé les chiffres publiés la semaine dernière par l’Observatoire national des risque psycho-sociaux (RPS) dans la fonction publique, une association spécialisée sur ces questions et extérieure à l’État. Sentiment d’inutilité, d’inadéquation entre travail et aspirations profondes, et même impression d’être interchangeables, bon nombre d’agents publics sont mal dans leur basket au travail et le font sentir notamment pas un désengagement.

« Je ne connais pas un seul DRH qui pourrait vous dire qu’il n’a jamais connu de situation de désengagement, expose Jérôme Friteau, directeur des relations humaines et de la transformation au sein de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Aujourd’hui, le « grand sens » de la mission de service public, qui est un vrai argument pour attirer des candidats dans le secteur public, se heurte souvent au « petit sens » du quotidien, celui de la mission concrète, dont l’impact n’est pas toujours suffisamment clair pour l’agent. »

Un désengagement qui peut se manifester de plusieurs manières. Mauvaise humeur, remarques sarcastiques fréquentes, pauses qui s’allongent, Guillaume Aubin, directeur de l’expérience travail à la Région Ile-de-France le constate sur le terrain. « À mon sens, il faut vraiment faire la différence entre un agent désengagé qui va faire son travail sans aller au-delà de sa fiche de poste et un agent désengagé qui ne fait même plus le minimum », précise-t-il. Il a notamment pu constater l’attitude d’agents qui s’effacent physiquement du collectif par exemple en faisant un maximum de télétravail et en ne parlant jamais en réunion, et d’autres qui peuvent plutôt être coutumiers d’interventions systématiquement négatives.

Si les causes de cette perte de sens et de ce désengagement peuvent être difficiles à déterminer, certains points saillants reviennent. « Les agents ont parfois le sentiment d’être éloignés des hautes sphères, illustre Lucie Juilien, conseillère interministérielle en conduite du changement et organisation du travail au sein de la plate-forme RH de Normandie. Ce qu’ils font au quotidien leur paraît ainsi moins lisible ». En cause également, des difficultés relationnelles avec les managers, mais aussi une santé mentale de certains agents qui, au départ, n’était pas bonne à cause de difficultés personnelles et qui s’est détériorée par une perte de sens et un malaise au travail.

Poser des mots sur les maux
Mais il y a, selon Jérôme Friteau, un autre phénomène qui émerge de manière assez spectaculaire dans le secteur public. C’est, selon lui, la volonté de quitter son poste et même parfois le secteur public. « J’ai souhaité mener depuis l’année dernière de manière plus rigoureuse et systématique des entretiens de départ pour connaître les raisons précises des départs de nos collaborateurs, détaille-t-il. Bien sûr, les problèmes de rémunération sont les raisons les plus faciles à aborder, mais des entretiens approfondis peuvent permettre de diagnostiquer un manque d’autonomie, une incitation à l’action par le contrôle et la mesure permanentes, facteurs de déresponsabilisation. » Quant à savoir si cette perte de sens et ce désengagement sont propres au secteur public, le phénomène semble plus globalement le reflet des attentes des jeunes agents difficilement conciliables avec un management encore très bureaucratique.

Dans ce contexte, des formations autour du sens au travail sont notamment proposées par le CNFPT au niveau national. Lucie Juilien anime ces formations, mais aussi des ateliers auprès de managers de l’administration territoriale de l’État autour du désengagement. « Lors des formations que j’anime pour l’État et la territoriale, certains collègues sont perdus en général et ne retrouvent plus leur engagement initial dans la fonction publique, constate-t-elle. Il est important de faire le point sur la situation actuelle pour voir ce qu’il est possible de modifier ou envisager un changement de secteur ou de structure si l’on est arrivé à un point de non-retour. » Dans le cadre de ces sessions, les participants sont invités à travailler sur les racines de leur motivation, mais aussi sur leurs valeurs profondes et leur manière de les incarner, les limites entre la vie professionnelle et familiale et aussi les marges de manœuvre qui existent dans leur poste actuel.

« Avoir perdu le sens au travail, ce n’est pas forcément grave et pas toujours entièrement de notre faute, analyse Lucie Juilien. Il faut déculpabiliser puis reprendre la main sur les choses sur lesquelles on peut agir. » Elle rapporte également croiser très souvent un « profil type », celui du manager très bon technicien que l’on a fait monter dans la hiérarchie sans le former au management, qui a toujours était brillant dans son travail et qui se retrouve soudain incompétent en tant que manager. Une situation courante qui peut produire d’importants dégâts. Au-delà des formations, il est primordial d’engager la discussion avec l’agent démobilisé qu’il soit, ou non, en position de management. « Ils sont souvent capables de poser des mots sur cette perte de sens, remarque un responsable RH. Mais, le plus souvent, les solutions pour sortir de cette situation leur échappent. » Il semble, pour autant, qu’une prise de conscience autour de cette perte de sens reste nécessaire à tous les niveaux pour éviter une généralisation du phénomène.

par Marie Malaterre
acteurspublics.fr

Tag(s) : #conditions de travail, #Département de l'Ain, #FO 01
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