Les candidats à la présidentielle aux petits soins pour les départements
Marie-Pierre Bourgeois, Romain Mazon | A la une | A la Une finances | Actualité Club finances | France | Publié le 08/03/2017
Les candidats à l'élection présidentielle passent leur grand oral devant les présidents de départements. Faut-il engager une nouvelle réforme territoriale ? Comment permettre aux départements de financer, notamment, le RSA ? Quelle est le rôle des départements, avec la nouvelle organisation institutionnelle qui fait la part belle aux régions et aux métropoles ?
Les associations d’élus avancent leurs pions à moins de deux mois de l’élection présidentielle et l’ADF ne fait pas exception. En préambule de cette matinée de « grand oral » entre aspirants à l’Elysée et présidents de départements, Claude Bartolone et Gérard Larcher ont chacun retenu les grandes orientations de la plateforme présidentielle de l’ADF [1], portée par Dominique Bussereau, président de l’ADF.
Le Président de l’Assemblée a ainsi défendu la fiscalisation des aides sociales et le droit à l’expérimentation, tandis que le président du Sénat a demandé à la future majorité, conformément aux vœux des départements, de « cesser de jouer au mécano territorial ».
Pour les candidats (présents ou représentés), la règle du jeu était simple : 10 minutes pour exposer le programme du candidat, puis des questions des présidents de département (1 de Dominique Bussereau, 1 de chaque groupe, droite et gauche, puis une question de Jean-Baptiste Forray, rédacteur en chef délégué de la Gazette partenaire de cet événement).
- Jean-Luc Mélenchon [2]
- Nicolas Dupont-Aignan [3]
- François Fillon [4]
- Emmanuel Macron [5]
- Marine Le Pen [6]
- Benoît Hamon [7]
Jean-Luc Mélenchon
C’est Pierre-Yves Collombat, sénateur (RDSE) du Var et représentant du candidat du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui a déroulé ses propositions le premier. Après avoir dressé un relatif satisfecit au gouvernement pour la réforme du mode de scrutin des élections départementales qui a permis « à la parité de n’être plus une utopie mais une réalité », il a développé les propositions de « la France insoumise » pour les départements, « les véritables leviers de la politique de relance économique que nous souhaitons ».
En premier lieu, « le financement durable des allocations sociales payées par le département pour réinventer les solidarités départementales. C’est comme cela que nous ferons barrage au populisme », a-t-il expliqué, estimant que « là où le FN se développe, ce sont tous les territoires dans lesquels nous avons décidé de remplacer les services publics par des services marchands. »
Alors que François Hollande avait un temps envisagé de maintenir les seuls départements ruraux, le Front de gauche refuse de différencier les départements urbains et ruraux. « A de très rares exceptions, tous les départements ont une partie de leur territoire qui est rurale. Nous avons donc besoin de départements partout pour répondre à la nécessite d’aménagement du territoire. »
Pierre-Yves Collombat s’est également fermement opposé à la création des conseillers territoriaux et à toute réforme du principe de libre-administration territoriale. « Nous en ferions un véritable casus belli ». Le sénateur a enfin défendu le retour à la clause de compétence générale qui a « le mérite de la clarté ».
Fil rouge de son intervention : un virage à 180 degrés dans la définition des priorités budgétaires, condition sine qua non pour « faire des réformes sérieuses ».
Nicolas Dupont-Aignan
Le candidat de Debout La France a défendu à la tribune sa vision jacobine. « La vraie question n’est pas celle de savoir si nous souhaitons plus ou moins de décentralisation. Nous devons plutôt nous demander ce que nous souhaitons faire de notre pays et de ses territoires », a expliqué le député-maire de Yerres (Essonne).
« Je suis surpris que vous vous laissiez assassiner avec une telle bonne volonté », s’est exclamé le candidat, avant de dérouler plusieurs propositions éloignées des revendications de l’ADF.
Nicolas Dupont-Aignan propose ainsi de supprimer les conseils régionaux. « Mais nous ne supprimerons pas les régions. Je souhaite organiser une conférence autour des préfets de région et des présidents de département pour décider des grandes orientations économiques à donner aux territoires. Toutes les compétences des régions seront transférées aux départements », détaille-t-il.
Ce transfert de compétences permettrait « l’affectation des recettes des régions aux départements ».
En revanche, les services d’incendie et de secours, les pompiers, doivent « revenir à l’Etat, je ne comprends pas pourquoi ils devraient être pris en charge par les départements », a ajouté Nicolas Dupont-Aignan.
Le parlementaire souhaite également leur permettre de fusionner « sur le principe de volontariat pour aboutir à terme à 70 ou 80 départements. »
Nicolas Dupont-Aignan estime aussi qu’il faut « clarifier le financement des départements pour mettre fin à cet étau inacceptable entre des dotations qui baissent et des dépenses qui augmentent ». Il faut une pause dans la baisse des dotations, car « vous êtes à l’os », a-t-il défendu.
Enfin, le candidat propose « une révolution de la dépense sociale », en rendant obligatoire un jour de bénévolat par semaine pour les allocataires du RSA et en mettant en place « 5 ans de carence des prestations sociales pour étrangers ».
Des propositions qu’il justifie en expliquant que les départements ne peuvent pas être « une CAF géante » et que « la proximité, c’est aussi le retour à l’emploi que facilite le bénévolat des personnes durablement éloignées de l’emploi, ainsi que le contrôle des prestations sociales. »
- Non, on ne peut pas obliger un allocataire du RSA à faire du bénévolat [9]
- « La question du RSA, c’est la question de l’emploi ! » [9]
« Nous sommes en train de laisser mourir nos territoires. A quoi sert l’élection présidentielle si c’est toujours pour mettre en place les mêmes recettes ? » interroge Nicolas Dupont-Aignan. Et de conclure : « avec ces mesures, les départements retrouveront de l’air et de la stabilisation dans l’avenir. »
François Fillon
L’ancien premier ministre, fin connaisseur des territoires de par son parcours par tous les échelons locaux, a tapé fort sur le quinquennat de François Hollande. « Depuis 5 ans, nos départements ont vécu une cure d’austérité sans précédent. Les élus ont été systématiquement écartés des réformes territoriales ces dernières années ».
Le candidat de la droite propose « une simplification sans précédent » qui s’articulerait autour des couples commune-communauté de communes et département-région.
« Mon but est de changer de logique en permettant aux départements de s’organiser comme ils le souhaitent et d’aller sur le terrain de l’expérimentation ou de la fusion si cela fait partie des attentes des élus. Il est temps de laisser les collectivités impulser leur propre mouvement plutôt que de se voir tout imposer d’en haut ».
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Attendu sur le terrain de la baisse des dotations aux collectivités, François Fillon a clarifié son propos. « Oui à une baisse adaptée pour les collectivités qui sera de 7,5 milliards sur 5 ans (environ 1,5 milliard par an, ndlr). Mais en échange, l’Etat allégera plus fortement les contraintes qui pèsent sur vous. Nous arrêterons de vous transférer toujours plus de compétence et vous aurez une plus libre grande liberté dans la gestion de votre personnel. Vous devez pouvoir embaucher des personnels qui ne sont pas sous statut ».
Sur la délicate question de l’augmentation du temps de travail, François Fillon « assume qu’il y ait un peu moins d’emploi public et des fonctionnaires qui travaillent 39 heures. Cessons de dire que tous les fonctionnaires sont des infirmiers ou des policiers. Je propose de baisser le nombre de fonctionnaires de 8% pendant 5 ans, un rythme raisonnable » a-t-il insisté.
« Mais nous respecterons la libre-administration des collectivités qui doivent conduire leur propre politique. Cela passera par la négociation, qui définira les modalités de cette augmentation du temps de travail. C’est aussi comme cela que nous relancerons les augmentations des agents publics et la progression des carrières », a expliqué François Fillon.
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Le député de Paris souhaite également revoir les prestations sociales, en mettant en place « une allocation unique qui permettrait de personnaliser les prestations à destination des plus démunis ».
Autre proposition de François Fillon, la stabilité institutionnelle. « Ne touchons à rien pendant 5 ans. Le conseiller territorial se fera seulement dans les départements qui le souhaitent ». Une façon élégante d’enterrer la réforme qu’il a porté pendant son séjour à Matignon et dont il a pourtant réaffirmé l’importance pendant la campagne des primaires.
«Ce serait totalement démagogique de ma part de vous dire que je suis capable de mettre en place une fiscalité propre pour les départements », a avertit François Fillon. D’autant que pour le candidat de la droite, la mère des priorités ne réside pas dans une nouvelle dynamique institutionnelle des territoires, mais dans « le redémarrage de l’économie, et la baisse du chômage ».
S’il gagne l’élection, il compte consacrer son quinquennat à cet objectif, une éventuelle réforme territoriale reposant « sur mon successeur », a-t-il ironisé.
Emmanuel Macron
Le candidat d’En Marche, souvent attaqué sur son inexpérience d’élu, a tenu à rassurer les membres des conseils départementaux. « Les départements sont un partenaire indispensable de l’Etat. C’est un espace de solidarité essentiel dans une politique de renforcement de la compétitivité. »
L’ancien locataire de Bercy souhaite « clarifier la question financière » en proposant 10 milliards d’euros de baisse des dépenses sur 5 ans « pour tous les échelons locaux ».
« Je refuse de croire à une méthode de baisse unilatérale des dépenses. Des objectifs seront fixés tous les ans et évalués tous les six mois entre le ministre chargé de ces sujets et les présidents de départements », a expliqué Emmanuel Macron, précisant que « la baisse des dépenses devra se faire sur le fonctionnement, et pas sur les seules dotations ».
Autre proposition du candidat : « les collectivités doivent bénéficier du plan d’investissement de l’Etat qui permettra de développer des équipements collectifs performants, ou le numérique. »
Sur la question du RSA, Emmanuel Macron soutient « le principe de recentralisation des allocations pour permettre un suivi départemental plus individualisé et ne plus demander aux départements de choisir entre la culture, l’école et les prestations sociales. »
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L’ancien proche de François Hollande propose également d’assouplir « les contraintes pour redonner plus de souplesse dans la gestion des normes et mettre en place des circulaires moins uniformisantes par le biais d’une conférence des territoires ». Cet allégement des contraintes devrait aussi permettre de « délier les collectivités de leur obligation de suivre les évolutions du point d’indice. Ce n’est pas logique qu’on augmente les fonctionnaires territoriaux quand on veut toucher les fonctionnaires hospitaliers. » Emmanuel Macron propose enfin, sur cette question des fonctionnaires, d’assouplir les conditions de recrutement des contractuels, sans plus de précision.
Dernier objectif de la réforme territoriale vue par Emmanuel Macron : « réduire d’un quart les départements d’ici 2022 en faisant du sur-mesure. » « Pour les métropoles, il faut envisager la fin du département quand le périmètre est très semblable, comme Paris et Marseille, mais pour les villes de taille moyenne et les territoires ruraux, le département reste le bon échelon », estime le candidat. Qui ajoute en conclusion ne pas souhaiter de réforme institutionnelle globale « pendant mon quinquennat, car vous avez eu votre lot ».
Marine Le Pen
C’est David Rachline, sénateur-maire de Fréjus (Var) qui a représenté Marine Le Pen à la tribune. « C’est la seule candidate des départements et il n’y a qu’elle qui en garantit l’existence à long terme », introduit le Monsieur collectivités du FN. « Il faut être cohérent. On ne peut pas défendre les départements et adouber la suppression des communes au profit de monstres intercommunaux sur ordre de l’Union européenne », a attaqué le sénateur.
« C’est pour cette raison que nous défendons le maintien des communes, des départements et de l’Etat : trois échelon, pas plus. Cette démarche est gage de simplification et la suppression des régions permettra de baisser les impôts locaux », malgré « le transfert de compétences aux départements », explique David Rachline. Dans le schéma frontiste, les régions deviennent « un organe de coordination, sans élus propres ».
Il évoque également la possibilité de mettre en place « des collaborations interdépartementales si cela a un sens géographique ou technique ».
- Le credo jacobin de Marine Le Pen [16]
- Chez les fonctionnaires, Emmanuel Macron et Marine Le Pen font la course en tête [17]
Quant aux fonctionnaires territoriaux dont Marine Le Pen souhaite le « redéploiement », « ils resteront dans leur collectivité si le périmètre reste inchangé ou iront vers la nouvelle institution en cas de fusion. Nous ne remplacerons pas les départs en retraite. Notre raisonnement est simple. A compétence supplémentaire, fonctionnaire remplacé. A compétence supprimée, fonctionnaire non remplacé », explicite l’élu.
Un choix qui s’inscrit dans une économie plus large de 10 milliards sur les dotations aux collectivités grâce à « la fin des CESER et des doublons entre collectivités ». David Rachline estime également que les plans anti fraudes (aux allocations sociales) mis en place par certaines collectivités contribueront au redressement des comptes publics.
« Nous souhaitons développer les référendums locaux pour permettre de trancher en amont les grandes infrastructures. Un Etat fort s’assurera ensuite de faire respecter cette position ,» conclut David Rachline.
Benoît Hamon
Le candidat du Parti socialiste s’est revendiqué de François Mitterrand pour expliquer que « dans une France dont les citoyens ont peur qu’elle se défasse, le pouvoir décentralisé doit continuer d’assurer qu’elle se fasse ». Pourtant, souligne Benoît Hamon, « les réformes successives n’ont pas réconcilié les Français avec la décentralisation et l’action politique. »
Pour ce faire, l’ancien ministre de l’Education souhaite mettre en place « une loi de financement des collectivités territoriales pour assurer une stabilité dans les dotations. Je prends l’engagement de ne plus faire d’économie sur les services publics », a-t-il assuré.
« Les départements sont l’échelon phare de la solidarité. Ce n’est pas un hasard qu’ils soient aujourd’hui sous le feu des attaques. On veut remettre en cause les solidarités nationales. D’ailleurs, on voit bien que les métropoles refusent d’aller sur ce terrain », souligne le gagnant des primaires de gauche.
« Je propose donc une vision totalement nouvelle de la solidarité, en mettant en place une réforme de l’ensemble des allocations qui aboutira au revenu universel », explique le candidat.
« L’urgence aujourd’hui, c’est de lutter contre la pauvreté et le non-recours aux droits qui représente un chiffre bien plus important que celui de la fraude. Je refuse d’imputer le coût du revenu universel, qui coûtera 30 milliards d’euros par an, aux collectivités. L’Etat le financera intégralement. »
- Les propositions de Benoît Hamon, candidat du PS à l’élection présidentielle [19]
- Revenu universel, réforme du RSA… Que proposent les candidats en matière de minima sociaux ? [20]
- « Le revenu universel créerait un droit des pauvres » – Pierre Savignat [21]
« Il faut arrêter le mécano territorial. Je propose de stabiliser la carte des territoires. Ces débats finissent par détourner les Français des politiques », regrette Benoît Hamon.
Pour rapprocher les citoyens des décisions politiques, le candidat est favorable à ce qu’ils participent de façon beaucoup plus importante aux grandes décisions du pays. « La loi Pour une république numérique d’Axelle Lemaire a permis de fluidifier les relations entre élus et administrés sur ce sujet. Six articles ont été écrits directement par les citoyens », s’est-il félicité.
Enfin, Benoît Hamon a été le seul candidat à aller sur le terrain du vieillissement, « un phénomène de société qui nous concerne tous. » Il propose d’augmenter l’APA « de 30%, une hausse intégralement financée par l’Etat », la création d’une allocation Bien vieillir pour un montant d’un milliard d’euros afin d’abaisser le reste à charge du coût des maisons de retraite, et le financement d’emplois supplémentaires dans les EHPAD, grâce à une économie de 2 milliards financée par la baisse de l’hospitalisation des personnes âgées.