Premier Congrès de Force Ouvrière en avril 1948
 

En France, Léon Jouhaux et ses camarades démissionnent du bureau confédéral de la CGT en application des décisions de la veille des groupes Force Ouvrière. Le regroupement se prépare pour la fondation de la CGT-FO qui aura lieu les 12 et 13 avril 1948.

Le film des événements, de la démission de Léon Jouhaux et de ses amis du Bureau confédéral de la CGT au congrès constitutif de FO (article paru dans Force Ouvrière Hebdo n°2277 du 20 décembre 1995.

Le 19 décembre 1947, Léon Jouhaux et ses amis démissionnaient du bureau confédéral de la CGT. Cette fracture dans l’organisation n’est pas une rupture avec la tradition syndicale française. Au contraire, elle s’inscrit dans l’historique volonté d’indépendance des syndicats par rapport aux partis politiques et à l’État. Volonté née il y a plus d’un siècle et qui perdure aujourd’hui avec la CGT-FO.

Blanquistes, guesdistes, puis socialistes et communistes, auraient bien aimé faire des syndicats leurs courroies de transmission au sein du monde du travail. Jusqu’à la Seconde guerre mondiale, toutes ces tentatives ont échoué. Mais le PCF allait utiliser l’essence même de cette guerre pour faire main basse sur la CGT. En effet, face à la violence de la barbarie nazie l’unité antifasciste est stratégiquement et tactiquement incontournable. Churchill lui-même, qui parlant de Staline disait : Il est homme à vous voler un kopek au fond de votre poche sans que vous ne vous en rendiez compte, a été le premier à soutenir militairement l’URSS dès juillet 1941.

Au niveau syndical, les Confédérés acceptent de passer les accords verbaux du Perreux avec les ex-Unitaires en avril 1943. La lutte contre l’occupant passe par l’unité syndicale. Mais les communistes ont des arrière-pensées : noyauter les organisations syndicales pour être en position de force à la libération, comme le souhaite Staline, qui veut maintenir et agrandir son empire. D’ailleurs Robert Bothereau, à la Libération, écrivait à Benoît Frachon : Ou je me trompe, ou bien je dois considérer que nous n’avons pas, dès le départ, envisagé sous le même angle le pourquoi de notre unité [1]. Les Confédérés ne sont pas des naïfs. Dès 1943, ils lancent clandestinement le journal Résistance Ouvrière, qui reparaît légalement, le 29 novembre 1944.

LE PARTI COMMUNISTE STALINISE LA CGT

À la Libération, Staline transforme sa théorie du socialisme dans un seul pays en celle du socialisme dans un seul bloc. Il décide donc de « soviétiser » par la force l’Europe centrale et orientale occupée par l’Armée rouge. Quant à la France, l’Italie et la Grèce, elles doivent rester dans le camp occidental, mais les partis communistes ont ordre de rester assez puissants pour faire pression sur leurs gouvernements selon les desiderata de la politique étrangère soviétique, et éventuellement pour que la puissance des États-Unis ne soit pas hégémonique...

Le PCF entre donc au gouvernement, se lance dans « la bataille de la production » et combat toute revendication ouvrière, déclarant même : La grève, c’est l’arme des trusts. Les anciens Confédérés, ayant une vieille expérience des pratiques communistes, ne s’en laissent pas compter. Le 20 décembre 1945, ils transforment l’hebdomadaire Résistance Ouvrière, dirigé par Albert Boudu, en Force Ouvrière.

« HIER RÉSISTANCE, AUJOURD’HUI FORCE »

André Viot, qui prend alors en main le journal, témoigne : La machine à broyer communiste était en marche et le bureau de Bothereau était devenu le bureau des pleurs de tous ceux qui perdaient leur syndicat, leur union départementale ou leur fédération. Ils venaient lui exposer comment les ex-unitaires les avaient mis sur la touche. Nous étions de plus en plus nombreux à voir enfin clair... Nous devions pourtant réagir avant d’être laminés par les communistes... Il fallait [donc] changer le titre de Résistance Ouvrière. J’ai expliqué que l’époque n’était plus à la résistance mais à l’attaque, et j’ai inventé le slogan : hier résistance, aujourd’hui force... Le but était de créer une force à l’intérieur, mais pas une scission. En effet, Léon Jouhaux est contre une scission car il pense que, comme en 1936, l’influence communiste va retomber. Enfin, il craint qu’un départ précipité ne s’avère un désastre au niveau de l’intendance.

En septembre 1946, alors que les communistes contrôlent près de 80% de la CGT, Bothereau, Bouzanquet, Neumeyer, Delamare, Capocci, et Sidro fondent des groupes : « Les Amis de FO » qui, dans un premier temps, distribuent le journal et donnent des conférences. Ainsi, assez rapidement, une véritable structure se met en place avec un groupe central FO dont les responsables sont investis de fonctions au sein de la Confédération et dans les fédérations. Enfin des cartes « Les Amis de FO » sont délivrées et des cotisations perçues.

C’est l’offensive du Kremlin en 1947 et les débuts de la guerre froide qui vont précipiter le départ de ceux qui veulent l’indépendance syndicale et non une CGT stalinisée. à l’Est, il n’y a plus que la Tchécoslovaquie qui résiste encore. Les Américains ripostent en lançant la doctrine Truman en mars 1947. Le 8 mai, les ministres communistes sont chassés du gouvernement.

Le 5 juin, Washington lance le plan Marshall. Trois semaines plus tard, Staline refuse ce plan. Le PC et la partie de la CGT qu’il contrôle, lui emboîtent le pas sans état d’âme. Le 3 juillet, le journal Force Ouvrière écrit : Dans les pays qu’ils gouvernent par l’intermédiaire des communistes, les Russes s’efforcent de supprimer toute liberté d’opinion et d’empêcher les contacts avec l’Europe occidentale. Ainsi la Russie refuse le plan Marshall.

Le 24 juillet, Léon Jouhaux annonce dans le même journal : Le plan Marshall peut offrir une base positive à la reconstruction d’une Europe unie. Mais minoritaires, « Les Amis de FO » ne peuvent empêcher le Comité confédéral national des 12-13 novembre de rejeter ledit plan. Par ailleurs, le PCF lance la CGT dans une série de grèves, dans le but réel d’imposer son retour au gouvernement et de faire prendre une orientation pro-soviétique à la diplomatie française. Devant l’échec de ces grèves politiques, l’ordre de reprise du travail est donné le 9 décembre.

Les militants qui s’étaient violemment opposés aux communistes dans les entreprises, commencent à quitter la Confédération et à créer des syndicats autonomes. Méhudin, de la fédération des cheminots, déclare : Il est impossible de lutter efficacement à l’intérieur d’un mouvement organisé et contrôlé par le mouvement communiste.

Avec tous ces départs, le groupe Force Ouvrière ne se sent pas assez fort pour réussir une contre-offensive interne. Il faut donc partir. Force Ouvrière, daté du 25 décembre 1947, raconte ce départ : Les membres minoritaires de la Confédération Générale du Travail, groupés sous l’égide de Force Ouvrière, ont, au cours d’une conférence nationale réunie à Paris les 18 et 19 décembre 1947, décidé de demander aux camarades Léon Jouhaux, Robert Bothereau, Albert Bouzanquet, Pierre Neumeyer, Georges Delamarre de démissionner du Bureau confédéral. En militants disciplinés, ils ont remis leur démission vendredi après-midi [2] au deuxième Secrétaire général de la CGT, Benoît Frachon. Et Robert Bothereau d’expliquer la philosophie de ce départ : Nous n’avons pas accepté le rôle d’otages que l’on voulait nous assigner. La CGT continue, ont dit ceux qui se sont installés à son siège. Nous qui avons dû en partir, nous disons : Nous continuons la CGT » [3].

Les communistes étant restés maîtres de l’immeuble de la rue Lafayette, de la trésorerie, de l’appareil administratif et des archives, c’est à partir de rien que Jouhaux et Bothereau ont dû reconstruire l’héritière de la CGT de la charte d’Amiens. Les 12 et 13 avril 1948, se tenait le congrès constitutif de la CGT-FO.

« NOUS CONTINUONS LA CGT »

Il fallait certes une bonne dose de courage et une vision claire de ce qu’est réellement le syndicalisme pour « continuer la CGT » dans les circonstances de 1947. Mais, après un long et patient travail syndical d’implantation, de conquêtes sociales, après la chute du mur de Berlin, quarante-sept ans plus tard, le grand mouvement revendicatif d’aujourd’hui, impulsé par FO, montre que les tenants de l’indépendance syndicale avaient raison face à un syndicalisme asservi.

Notes
[1] Le Peuple, 4 août 1945.

[2] Le 19 décembre 1947.

[3] FO, 25 décembre 1947.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :